samedi 14 mai 2022

Éducation :Cameroun: La galère des enseignants vacataires

Éducation Cameroun: La galère des enseignants vacataires.
Ce matin nous avons décidé de partager cet article de mutation publié en 2010.
Bonne lecture
5 octobre, 2010  

Cameroun: La galère des enseignants vacataires

Sources: Mutations.
Cameroun: La galère des enseignants vacataires vacataireDans bien des lycées et collèges de l’arrière-pays, ils représentent 85% du staff dans. Et des chefs d’établissements reconnaissent même qu’ils sont souvent plus consciencieux que leurs collègues diplômés des Ecoles normales supérieures (Ens). Pourtant, ils n’ont pas de statut; se sentent méprisés au quotidien; perçoivent des salaires de catéchiste à intervalles d’ailleurs irréguliers etc. Leur condition pathétique est révélatrice de la profondeur du mal être des enseignants, en général, au Cameroun et pourrait expliquer, tout au moins en partie, la baisse continue du niveau des élèves. En cette Journée mondiale de l’enseignant, Mutations plonge dans la misère de ces enseignants de «seconde zone».

Un mois après que les cloches de la rentrée scolaire 2010/2011 aient sonné, Michel Tedondje et ses collègues vacataires du Lycée technique de Dschang viennent juste de percevoir leurs salaires du mois de mai 2010. Le dernier des neuf mois qu’on leur paye habituellement sur les douze que compte l’année calendaire. Ils ont pourtant achevé leurs programmes et rempli toute «la paperasserie administrative» à temps. A dire vrai, cet enseignant de langue française est «habitué à vivre çà». L’année précédente, le décaissement du salaire du mois de mai avait également pris du retard, «mais pas un retard aussi long». Le vacataire raconte que «la courbe ascendante des retards dans les versements mensuels, au cours de l’année 2009/2010, préfigurait déjà cette situation particulièrement difficile à supporter».

En fait, dans cet établissement, les ajournements dans le règlement des salaires des enseignants vacataires avaient commencé dès le premier mois de l’année scolaire: 11 jours d’attente exactement. Mais au fil de l’année, ce retard s’est allongé, au point d’atteindre pratiquement 30 jours, au cours du mois d’avril 2010. Un autre collègue de Michel Tedondje révèle, pour sa part, qu’au «cours du mois de décembre 2009, [ils] avaient subi une coupe de 30% dans [leurs] salaires qui n’excèdent d’ailleurs pas 50.000Fcfa pour les mieux payés». Encore amer lorsqu’il repense à ce désappointement «en pleine période de fêtes de fin d’année», cet enseignant indique avoir «été rabroué par le responsable financier du lycée lorsqu’il [est] allé lui demander la raison de cette coupe salariale qui [l’avait] fait passer de 45.000 à 30.000Fcfa».

Pourtant, même si la situation de ces deux enseignants et de leurs collègues vacataires du dudit lycée de Dschang semble poignante à plus d’un titre, elle est presque «enviable» au regard de ce que vivent les autres, ailleurs dans la même ville, et à Douala. C’est, tout au moins, l’impression qu’a laissé Joseph Moumi pendant une interview téléphonique. Ce professeur vacataire au Lycée de Bafou-Sud (arrondissement de Kong-ni), aurait préféré subir le traitement de ses collègues du lycée technique. C’est que, l’enseignant d’histoire-géographie qu’il est, gagne 35.000Fcfa par mois pour 19 heures de cours hebdomadaires. Malheureusement, il arrive assez souvent qu’on lui retranche quelques milliers de francs pour des «broutilles».

250Fcfa de l’heure
De plus, il faut ajouter à ces fréquentes coupes salariales, le coût du transport à moto pour se rendre au lycée. Car, l’établissement se trouve à 13 km de Dschang, ville où habite la quasi-totalité des enseignants. Pour les trois allers-retours qu’il effectue chaque semaine, Joseph Moumi débourse 12.000Fcfa par mois. Au final, il se «retrouve avec environ 20.000Fcfa à la fin du mois». Or, en faisant un rapide calcul au prorata de son total horaire par mois (entre 76 et 80 heures), il s’avère qu’il «gagne environ 250Fcfa de l’heure». Et Certains de ses collègues gagnent moins. Pourtant, le lycée de Bafou-Sud ne pourrait fonctionner sans eux. En effet, tel que le révèle Joseph Moumi, «sur une trentaine d’employés, plus de 25 sont vacataires».
Or, il faut noter que «parmi les 9 fonctionnaires de l’institution, 6 sont des administratifs». Ce signifie que l’établissement ne dispose, en réalité, que de 3 diplômés d’Ens affectés à l’enseignement. Joseph Moumi enseigne donc dans un lycée où les vacataires représentent plus de 85% du personnel enseignant. Casimir Egoué, doctorant en philosophie et professeur vacataire lui aussi, depuis plusieurs années dans les lycées de la ville de Dschang, indique qu’à «l’observation, les Pleg peinent à constituer 50% des enseignants de la ville». En poursuivant l’enquête à Douala, Mutations a enregistré des témoignages encore plus saisissants.

Ici, les salaires sont, à première vue, tout au moins, plus consistants que dans les établissements de Dschang. Tenez plutôt: Théodore enseigne les langues vivantes au collège Les Délices d’Oyack à Douala. Il perçoit 800Fcfa par heure dans les classes intermédiaires et 1.000Fcfa dans les classes d’examen. Et il totalise 8 heures par semaine. Ce qui devrait lui permettre de gagner environ 30.000Fcfa par mois. Mais il confie que les responsables de l’établissement «sont très heureux lorsqu’il y’a de nombreux jours fériés au cours d’un même mois. Le fait que cela nous empêche de couvrir toutes nos heures prévues, leur permet de réaliser des économies substantielles». La suite de ses révélations semble incroyable: «lorsqu’un mois n’a pas de jours fériés, ou en a trop peu, l’administration s’arrange toujours pour en ‘fabriquer’».

Cela peut prendre plusieurs formes: «une semaine de la jeunesse; une semaine de préparation pour les défilés; deux semaines de préparation aux examens séquentiels (environ 2 fois par trimestre); et j’en passe. Tous les prétextes sont bons». En fin de compte, ce jeune vacataire de 25 ans n’a «jamais réussi à gagner 30.000Fcfa à la fin d’un mois». «Mon salaire mensuel oscille donc entre 17.000Fcfa et 28.000Fcfa», s’indigne-t-il. Matthias vit une situation autrement plus difficile au collège du Centre à Bépanda Omnisports. Non seulement il perçoit 700Fcfa de l’heure, mais pis, on ne lui a payé (et à fréquence irrégulière) que 6 mois au courant de l’année scolaire 2009/2010. «C’est une habitude là-bas», éructe-t-il. La situation de Thierry Deutchoua au collège La Solidarité de Nkoulouloun n’est pas non plus une situation d’avenir.

C’est Arsène Biombi qui traduit sans doute le mieux la frustration de ces «enseignants de seconde zone». «Mes collègues vacataires et moi vivons un véritable enfer dans les lycées et collèges. Le dire avec des mots est faible. Devenez enseignant vacataire, juste un mois, et vous ressentirez dans votre chair l’étendue de notre misère». Il est presque au bord des larmes quand il parle de son métier. L’émotion qui l’étreint et la profondeur des mots qu’il semble choisir avec précaution, se suffisent pratiquement pour décrire leur vie ou plutôt, leur «survie quotidienne». A 33 ans, dont 10 années de vacation, ce titulaire d’une maîtrise en physiques n’a «encore rien pu réaliser de grand». Il n’a «ni femme, ni enfants, ni maison…». Après avoir concouru plusieurs fois, M. Biombi est forclos pour l’Ens. Comme tant d’autres jeunes vacataires, Arsène Biombi avait «toujours considéré [son] travail comme un pis-aller en attendant d’être admis à un concours administratif».

Aujourd’hui, il est obligé de faire des vacations un métier pour la vie. Or beaucoup sont dans le même cas. D’où, selon lui, «l’urgence de règlementer les vacations et l’enseignement privé au Cameroun». Il appelle d’ailleurs de ses vœux à «l’avènement d’une convention collective pour les enseignants vacataires». Elle lui «semble être la seule solution valable pour ce problème qui dure déjà depuis trop longtemps». «L’Etat doit vraiment faire quelque chose. Sinon, les fondateurs de collèges continueront à s’enrichir sur notre dos et celui des élèves», prévient-il. «Malheureusement, nous-mêmes les vacataires, ne parvenons pas à créer un syndicat, par peur d’être licenciés», regrette-t-il encore.
Sous anonymat, un promoteur a justifié cette «misère» des vacataires par le fait que l’Etat ne leur «verse plus de subventions conséquentes». «Quelque soit nos effectifs, nous recevons entre 1 et 2,5 millions de Fcfa par an.

Que feriez-vous à notre place? Nous devons au moins opérer un retour sur l’investissement et rembourser les banques -si frileuses- qui ont bien voulu nous faire confiance. J’espère que vous comprenez aussi notre situation. La solution est entre les mains de l’Etat». Et la situation n’est vraisemblablement pas différente dans les collèges confessionnels. En dépit des frais de scolarité particulièrement élevés, les enseignants, vacataires ou non, vivent une situation tout aussi précaire. Selon une source digne de foi, «la seule différence ici, réside dans la régularité des salaires».
De l’avis d’Arsène Biombi, «beaucoup de fondateurs laïcs ont transformé les collèges en des boutiques qui doivent rapporter le maximum possible et le plus vite possible». Pourtant, Joseph Ndi Samba, président d’une association de promoteurs d’établissements privés, rappelait à Mutations, le 26 août dernier, que «le code de déontologie» en matière d’éducation prescrit «qu’on ne doit pas considérer l’enseignement comme une activité commerciale». Ses homologues, bien souvent illettrés, le savent-ils?

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